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Comment transformer sa gouvernance pour instaurer plus de coopération ?

Publié le 16 août 2023
Cofondateur de l’Université du Nous, Olivier Pastor accompagne désormais de nombreuses organisations de l’ESS sur le chemin d’une gouvernance plus démocratique. Il nous livre son retour d’expérience.

Les organisations de l’ESS ont par nature une gouvernance qui se veut démocratique. Pourquoi donc chercher à la transformer ?

Olivier Pastor - Lorsqu’en 2010, l’Université du Nous se crée pour proposer des espaces d’expérimentation visant à développer une gouvernance plus partagée au sein des organisations, les premiers intéressés par la démarche se sont trouvés être des acteurs de l’ESS et des initiatives citoyennes. À cette époque, un mouvement citoyen commence à s’emparer des secteurs de l'énergie, du foncier et de l’alimentation en créant de nouvelles coopératives (EnercoopTerres de LienLa Louve, etc.). Pour ces organisations, l’intérêt pour la gouvernance démocratique s’explique souvent dans la recherche de cohérence entre les buts poursuivis et leur modalité de mise en œuvre, au-delà même de leur sensibilité historique à ce sujet, du fait de leurs statuts.

 

Peut-on dire que les acteurs de l'ESS sont plus innovants en matière de qualité démocratique ? 

O. P. - Je ne pense pas que nous puissions l’affirmer. Vers 2015, le sujet de la transition des organisations a pris de l’ampleur, avec quelques publications phares (celles de Frédéric Laloux, etc.), le succès du documentaire « Le bonheur au travail » et un ancrage médiatique plus fort. On prend conscience que si l’on ne change pas nos organisations, on continuera probablement à se heurter aux mêmes limites au regard des enjeux de transition et de bien-être au travail

 

À ce moment-là, des organisations fondées par la génération Y développent des modalités de gouvernance très innovantes, alors même qu’elles ne relèvent pas forcément de l’ESS. De même, comment ne pas citer des organisations hors champ de l’ESS, telles que DécathlonMichelin ou encore Chronoflex, dès lors que l’on parle d’innovation organisationnelle et managériale ? Aujourd’hui, la recherche de qualité démocratique irrigue aussi les collectivités locales et les collectifs citoyens qui participent à la transition. Il s’agit donc d’une question qui dépasse le champ de l’ESS, tout en s’intégrant dans le même socle de valeurs. Très souvent, l’enjeu de la qualité démocratique ne se trouve pas tant dans la question de la révision statutaire que dans la capacité à faire ensemble, à intégrer les parties prenantes dans la gouvernance et à changer la manière de manager les salariés.

 

Cette capacité à "faire ensemble" est donc devenue un enjeu essentiel ? 

O. P. - Oui. Ce qui fait l’efficacité des organisations pyramidales (c’est-à-dire la perspective de produire mieux demain ce qu’on produit déjà, grâce à des logiques de prédictions fondées sur l’expertise, des économies d’échelle et des mécanismes d’optimisation) est aujourd’hui mis à mal. On l’a bien vu avec la crise sanitaire en 2020 : les organisations ont dû faire face à des changements inédits. Les structures en silo sont incapables d’aborder ces évolutions rapides qui appellent à s’organiser différemment et à se réinventer sans cesse pour embrasser la complexité et le caractère imprévisible de la société.

 

 

Dans une organisation qui aspire à un fonctionnement démocratique, quelle posture peuvent adopter les dirigeants et les managers ?

O. P. - Dans une organisation classique, le manager se vit souvent comme le centre de son équipe. Cette position centrale lui donne une grande capacité à agir, à contrôler et donc à garantir la capacité de l’organisation à atteindre ses buts. Cette verticalité est un gage d’efficacité.

 

Le repositionnement du leadership ne consiste pas à laisser le centre vide, avec un manager qui ne participerait plus aux prises de décision et qui se mettrait en retrait. Il s’agit plutôt de trouver un juste milieu entre la capacité de garder ses prérogatives traditionnelles de manager (c’est-à-dire garantir l'alignement de l’action avec les buts poursuivis et la raison d’être de l’organisation), tout en distribuant davantage le pouvoir (c’est-à-dire exercer son autorité avec, plutôt que sur les autres, en déléguant son autorité). De cette manière, le manager continue à agir, mais dans une réelle relation d’équivalence avec ses collaborateurs.

 

Le partage du leadership ne revient pas à construire des organisations sans chefs, mais bien à faire en sorte que tout le monde soit chef, avec des rôles et des prérogatives. Dans une organisation où le pouvoir est partagé, la question consiste donc à se demander quelle autorité est légitime pour s’emparer de tel ou tel problème. Chacun est alors amené à faire l’expérience de sa souveraineté individuelle pour juger si, face à ce problème, il décide seul, consulte les autres, coconstruit avec eux ou encore remet la décision au collectif pour l’ancrer plus solidement. C’est à chaque personne d’évaluer s’il est nécessaire de ramener la décision au collectif.

 

Cet équilibre est-il difficile à trouver ?

O. P. - L’arbitrage entre les différents niveaux de délégation, c’est l’apprentissage le plus délicat dont je puisse témoigner. Il génère beaucoup d’inconfort, interroge notre confiance en nous-mêmes et nous fait éprouver les limites de celle que nous sommes en capacité à accorder à l’autre. À cet endroit, nous sommes souvent bien loin de la vision romantique que nous associons généralement au terme « coopération ».

 

Dans les organisations que j’accompagne, je soutiens donc deux mouvements : celui du dirigeant, pour l’aider à trouver en lui la confiance nécessaire pour distribuer davantage son autorité dans l’organisation, et celui de l’équipe, pour amener chacun prendre de plus en plus de responsabilités, ce qui relève d’un véritable processus d’émancipation. C’est un jeu d’équilibrage.

Thématiques

Gouvernance et statuts
Économie sociale et solidaire

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